Le mythe de l’enfant sage

Ca y’est, vous êtes enfin parent. Votre petit ange est bien présent dans vos bras câlins. Dès les premiers jours, votre entourage s’affaire à vous bichonner et vous questionner sur votre bien-être et celui du nouveau venu. Vous ne pourrez passer à côté de LA question présente sur toutes les lèvres pour évoquer les pleurs du nouveau-né : l’enfant est-il « sage » ? Cette question, d’apparence anodine, préalable poli à toute conversation autour de votre bébé, pourra devenir pesante à la longue. Parce que oui, les enfants pleurent. Certains beaucoup, d’autres peu. Et non, les pleurs, fréquents ou pas, n’ont rien à voir avec la sagesse. Je vous rassure tout de suite : vous êtes quand-même de bons parents !

Sachez tout d‘abord que les épisodes de pleurs prolongés sont très fréquents chez les nourrissons de moins de 12 mois dans les pays occidentaux. On parle couramment de coliques du nourrisson, et sont bien souvent regroupés (à tort) sous cette appellation tous les pleurs indéterminés. Cependant, attention à ne pas tout mettre dans le même panier.

Le pleur est un réflexe biologique qui permet au bébé d’exprimer un besoin urgent en attirant l’attention de son entourage. Outre les pleurs d’origine physiologique (sommeil, faim, froid, etc) ou physique (correspondant à une douleur ou mal-être liés à un dysfonctionnement physique : infection, fièvre, reflux, coliques, tensions ou blocages liés à la grossesse ou la naissance, etc), il existe une catégorie de pleur toute particulière : Le pleur affectif. Cela traduit un besoin d’échanges et de proximité.

Car le bébé humain, comme tous les petits mammifères, a des attentes sensorielles fortement inscrites pour assurer sa survie : chaleur, protection, relation, interaction. Le toucher, premier sens à se développer in utero, permet l’établissement des premiers liens et modes de communication. Un bébé naît en effet particulièrement immature d’un point de vue biologique et a besoin d’une relation de grande proximité avec un autre être humain, avec des contacts rapprochés et fréquents. D’ailleurs, le fait que le bébé pleure lorsqu’on le dépose est un réflexe permettant d’assurer sa survie. Un nourrisson confronté à un entourage distant ou froid développe une grande insécurité intérieure et peut s’exprimer d‘autant plus bruyamment pour tenter de se faire comprendre.

La stimulation tactile, les caresses, le portage, le bercement sont des besoins essentiels qui permettent un bon développement psycho-affectif. Par ce toucher, le bébé sait qu’il est aimé et en sécurité. Cette nourriture affective est tout aussi vitale que la nourriture alimentaire.

Même si ma qualité d’ostéopathe aimerait s’approprier ce mode de communication, les parents sont les premiers concernés par l’importance du toucher. Pour limiter les dégâts sur votre propre dos, je vous conseille fortement de vous familiariser avec les écharpes de portage !

Vous pouvez également suivre les conseils cités sur ma page autour des nourrissons, ainsi que ceux de la rubrique « ostéopathie post-partum » sur ma page concernant les prises en charge autour de la grossesse.

« Toujours dans vos bras ? Il va s’habituer et ne sera jamais autonome »

Il faut savoir que les cultures qui pratiquent le maternage de proximité (portage, massage, sommeil partagé, allaitement à la demande, etc) ne connaissent pas ces fameuses crises de pleurs prolongés !

Dans les pays occidentaux, la séparation précoce est une injonction sociale communément admise comme préalable indispensable à l’autonomie. Ceci est en réalité de nature à encourager les pleurs : chambres séparés, nourrissage chronométré et à heures fixes ne tenant pas compte du rythme propre de l’enfant, portage limité (le bébé passant du transat au cosy et de la poussette au berceau), recours aux objets transitionnels (tétine/doudou) alors que les parents sont présents dans l’environnement, etc… sont autant d’habitudes vues comme des impératifs sociaux alors même qu’elles ont été développées par les industriels cherchant à vendre du matériel de puériculture.

En réalité la séparation précoce ne conduit pas vers l’autonomie mais vers la peur de l’abandon et la dépendance relationnelle. Les scientifiques ne le diront jamais assez : il est impossible de « trop gâter » un bébé de moins d’un an. Jouez avec lui, portez-le, cajolez-le, parlez-lui. En plus de participer au bon développement du cerveau, ces gestes font naître chez votre enfant le sentiment profond et durable d’être aimé, et induisent une diminution de près de 50% des pleurs indéterminés du nourrisson.

Cessez donc de culpabiliser parce que vous aimez l’avoir sur votre ventre lorsqu’il fait ses siestes, et profitez pleinement de ces moments de contact !

Mais alors, comment se fait-il que mon bébé continue de pleurer
lorsque je le prends dans mes bras ?

Parce qu’il y a une dernière catégorie de pleurs : les pleurs de décharge émotionnelle. Ceux-ci ont lieu en grande majorité à la tombée de la nuit et on estime qu’ils sont intimement liés aux quantités et à la qualité des informations sensorielles et affectives que le bébé a reçu au cours de la journée (et même des jours précédents). Trop de bruit, trop de visiteurs, sur-stimulation, ennui, difficultés d’adaptation, pas assez de contact physique avec son parent au cours de la journée, ou bien même des disputes au sein du couple, un décès ou un vécu de naissance compliqué peuvent ainsi être à l’origine de ces pleurs. Ils traduisent les différentes tensions accumulées, et c’est son moyen à lui de vous en faire part et de s’en libérer.

Les parents pourront accompagner ces pleurs par des paroles rassurantes, une présence sereine et chaleureuse, sans forcément chercher à toute force à les arrêter par de la distraction. Assurez-vous tout d’abord que ses besoins sont satisfaits, puis entourer l’enfant et la décharge de pleurs de manière à le laisser exprimer son émotion. Chaque fois que l’adulte rassure, sécurise, câline l’enfant en le prenant dans ses bras avec une attitude douce et apaisante, il aide celui-ci à faire face à sa détresse.

Il est vivement conseillé d’exprimer oralement ce que vous ressentez (toujours de manière douce et calme). En effet, les bébés sont de véritables éponges émotionnelles, et une fatigue / crispation dissimulée pourra freiner son apaisement.

Néanmoins, il demeure nécessaire de consulter rapidement si votre bébé pousse des cris stridents inhabituels et inconsolables pendant plusieurs heures et semble souffrir.

Mais n’oubliez pas : Plus vous êtes en contact avec votre bébé durant la journée (et que vous avez été à l’écoute de ses besoins), moins il pleurera…

En ostéopathie, les réactions émotionnelles du bébé et de son environnement sont partie intégrante du traitement. Que les parents mettent des mots sur les émotions permet d’éliminer de la mémoire corporelle du bébé un passé qui peut déjà être un fardeau et  se traduire par des pleurs, des troubles digestifs ou avoir un impact sur son sommeil.

conseil ostéopathe saint cyr sur mer

Instant scientifique

Un comportement affectueux a un impact positif sur le développement du cerveau. Comment ?

Dès que le parent prend le temps de câliner, jouer, sont sécrétés ocytocine, dopamine, endorphines et sérotonine. Keskeucékoi ?

Ocytocine : c’est la molécule de l’amour ! Procure du bien-être, renforce l’immunité, favorise la confiance en soi, permet un sommeil réparateur, et est un puissant anxiolytique.
Dopamine : responsable de la motivation, du plaisir et de la créativité.
Endorphines : puissant antidouleur, provoquant une sensation de bien-être.
Sérotonine : rôle dans la stabilisation de l’humeur.

C‘est pourquoi une relation empreinte de tendresse est synonyme de santé physique et de bien-être.

Par ailleurs, chez le tout petit bébé (et même chez l’enfant un peu plus grand), ces hormones influencent de manière positive le développement des circuits cérébraux, et permettent une augmentation du volume de l’hippocampe, zone du cerveau ayant une place centrale dans l’apprentissage et la mémoire émotionnelle.

A l’inverse, lorsque le bébé pleure, son corps produit du cortisol (hormone du stress), qui diminue la neurogénèse (développement de nouveaux neurones), altère l’hippocampe et augmente le volume de l’amygdale (centre de la peur).

Mais, comme le dit si bien ma mère :

« C’est pas la peine d’avoir fait bac + 5 pour comprendre qu’il n’est pas bon pour un bébé de pleurer » !

Sources :
Ce texte s’inspire de nombreux auteurs, eux-mêmes très bien documentés par de nombreux articles scientifiques de bonne qualité. Parmi eux, quelques exemples en vrac:
Atzil S. (2011), « specifying the neurobiological basis of human attachment : brain, hormones and behavior un synchronous and intrusive mothers », neuropsychopharmacology, 45, p.2603-2615.
Champagne F. et al. (2008), « Maternal care and hippocampal plasticity : evidence for experience-dependent structural plasticity, altered synaptic functioning, ans differential responsiveness to glucocorticoids and stress », the Journal of Neuroscience, june 4, 28 (23), p.6037-6045.
Davidson R. J. (2012), « social influences on neuroplasticity: stress ans interventions to promote well-being », Nature Neuroscience, 15, 5, p 1946–1958.
Feldman R. et al. (2010), « Touch attenuates infants physiological reactivity to stress », Developmental Science, March, 13 (2), p.271-278.
Fox S.E. et al. (2010), «how the timing and quality or early experience influence the development of brain structure », Child Development, 81(1), p.28-40.
Winnicott D.W. (2011), La relation parent-nourrisson. Payor.
Zeifman D. (2001), « An ethological analysis of human infant crying: answering tinbergen’s four questions ». Developmental psychobiology, vol 39,4.

Pour des lectures plus digestes et tout aussi bien référencées, vous pouvez vous orienter vers ces auteurs : Isabelle Filliozat, Catherine Gueguen, Catherine Dumonteil-Kremer.